Seleção de uma das "Cartas do Meu Magreb", de Ernesto de Sousa, (ed. Tinta da China) folha de sala na exposição "September Days" de Cristina Lamas, em Argélia , 23-25.09.2023, em Les Ateliers Sauvages, ao abrigo do Instituto Camões (38 Rue Didouche Mourad - Alger)). Les Ateliers Sauvages são dirigidos por Wassyla Tamzali, escritora argelina, advogada e feminista.
"Dernière lettre d’Alger 10 octobre 1962
J’ai vaincu deux très grandes crises, parallèles. L’une, un rhume qui — je l’ai appris plus tard — peut s’avérer très dangereux dans ces parages. Mais, à force de sévérité et de discipline, il semblerait que ce soit passé. L’autre se rapportait à la situation comique suivante : je n’arrivais pas à trouver un billet de bateau et, de jour en jour, je me retrouvais sans argent. C’est une sensation étrange, celle de se trouver de ce côté et de ne pouvoir même pas profiter d’un voyage en auto-stop. Mais après maints subterfuges, que je te raconterai, j’ai réussi à me procurer un billet en 4e classe dans la cale pour demain, jeudi. Je me retrouve tout de même quasi sans le sou, vingt dollars, et je t’assure que je me suis serré la ceinture. J’ai découvert qu’en ne mangeant que du pain et du fromage, on peut vivre avec cent francs la journée (cinq escudos environ). Sans compter quelques verres de lait. Je ne me suis autorisé qu’une seule folie : le jour où j’ai obtenu mon billet, ma joie était telle que je suis allé voir Hiroshima, mon amour (quatre cent cinquante francs). Évidemment, ça a valu la peine. Le travail m’occupe sans cesse et dans deux heures je vais visiter la télévision et interviewer un réalisateur que j’ai croisé alors qu’il filmait dans les rues de la kasbah : le premier film algérien depuis l’Indépendance. On m’a aussi déjà montré deux documentaires de résistance. L’un d’eux, Yasmina, bouleversant, m’a aidé plus que toute chose à aimer ce peuple, souffrant et tenace. Je passe mon temps avec eux. C’est dans la kasbah (la kasbah, c’est l’Alfama d’ici) que je me sens bien. Et c’est en leur compagnie que je vais voyager car ils sont plusieurs centaines à repartir en France pour y chercher, de nouveau, du travail. Comme je les aime et que d’émotions nous partageons !
Et il faudra un jour que je revienne, après l’énorme tâche à laquelle se réfère Alleg, petit Peter Lorre aux cheveux blonds, clairsemés : un ami.
Ernesto de Sousa